La liberté du chercheur serait aujourd'hui sérieusement menacée en France et aux Etats-Unis et, avec elle, la pratique même du métier. C'est la thèse d'Olivier Beaud, Professeur de droit public à l’université de Panthéon-Assas, auteur de l'ouvrage "Le savoir en danger" (PUF, 2021), et notre invité.

Olivier Beaud s'intéresse depuis longtemps à la défense de ce qu'il pense être une menace au fondement du métier de chercheur : la liberté académique. Avec Les libertés universitaires à l'abandon ? (Dalloz, 2010) il analysait déjà le phénomène. Avec Le savoir en danger (PUF, octobre 2021), un essai nourri d'Histoire et de réflexions juridiques, il propose d'analyser précisément ce phénomène, en France et aux Etats-Unis.
Le concept de liberté académique vient d'Allemagne et ne semble pas encore avoir fait son chemin en France : “l’université moderne repose sur l’idée qu’on doit rechercher librement la vérité et qu’il n’y a pas de vérité préétablie. En France, cette définition est méconnue, c'est un impensé ", nous dit-il.
Olivier Beaud revient à la généalogie de cette notion, nous expliquant qu'il faut distinguer la liberté d'expression (licence de donner son avis sur la question) de la la liberté académique (possibilité pour un enseignant de transmettre un savoir résultant d'investigations et de la confrontation d'arguments ). En effet, cette dernière ne se limite pas à la liberté d'expression. “L'universitaire, affirme Olivier Beaud, n’a pas juste une opinion, il a une opinion vraie et justifiée, avec des arguments ; cette règle méthodologique est un devoir pour l'universitaire".
La liberté académique est donc au fondement du métier d'enseignant chercheur à l'université. Pour Olivier Beaud, plusieurs facteurs la menacent aujourd'hui. Les régimes tyranniques bien sûr (dont la Turquie est le plus grand représentant) mettant en prison leurs enseignants, les empêchant de parler au sens propre du terme. “C’est une grande constante, rappelle l'auteur, que les régimes autoritaires prennent pour cible les journalistes et les universitaires, ceux qui expriment un point de vue dissident vis à vis du gouvernement en place".
Les autres menaces viennent des étudiants. Olivier Beaud cible ici les trois "causes identitaires" que sont : "la lutte contre le racisme", "la cause féministe" et "la cause des homosexuels". Si ces mouvements sont légitimes, pour lui, ils peuvent être à la source d'abus. En effet, “là où il y a danger, explique-t-il, c’est quand des étudiants activistes veulent influer sur le contenu des cours dans l’université. Il y a dans ce cas-là un risque de censure. C’est une atteinte à la liberté d’enseignement. C’est le cas aux Etats-Unis, pas encore en France.”
Les menaces dues au causes identitaires viennent "de la société civile" nous explique Olivier Beaud, et sont exacerbées par l'utilisation des réseaux sociaux : “ce qui change la donne, c’est l’amplification par les réseaux sociaux. Aujourd'hui, les conflits de personnes sont amplifiés, externalisés par les réseaux sociaux. Donc la parole des professeurs, si dérapage verbal il y a, peut être de suite universalisée”.
Dans une perspective historique, l'auteur analyse Mai 68 et l'épisode du maccarthysme au prisme de sa thèse : "Mai 68 fut aussi un moment de menace de la liberté académique, les professeurs étaient sous la pression des étudiants révolutionnaires, ils n’étaient pas libres d’enseigner.”
L'auteur s'appuie sur des cas bien précis pour défendre ses thèses, et il espère que l'université pourra rester ce lieu qui a pour objet "la recherche désintéressée de la vérité, qu’elles qu’en puissent être les conséquences, l’extension et la communication du savoir", pour reprendre les dires de Simon Leys, écrivain belge qu'il aime à citer.